Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
JOURNAL

moisi à force de ne jamais parler que des domestiques, de ma santé et des chiens.

Ma tante est un peu plus polie, elle impose même à qui la connaît peu.

Ai-je jamais dit leur âge ? Sans la maladie, ma mère serait encore superbe. Ma tante a quelques années de moins et paraît l’aînée, ; elle n’est pas belle, mais grande et bien faite.


Lundi 3 juillet.Amor [1]descrescit ubique crescere non possit.

« L’amour diminue dès qu’il ne peut plus augmenter. »

C’est pour cela que, dès que l’on est tout à fait heureux, on commence imperceptiblement à moins s’aimer et on finit par s’écarter l’un de l’autre.

Je pars demain. Il y a je ne sais quel regret de quitter Nice.

Tous ces préparatifs de voyage jettent un certain froid dans ma résolution.

J’ai choisi la musique que je dois emporter, quelques livres : l’Encyclopédie, un volume de Platon, Dante, Arioste, Shakespeare, puis une quantité de romans anglais de Bulwer, de Collins et de Dickens.

Je dis des impertinences à ma tante, puis je suis allée sur ma terrasse. Je restai au jardin jusqu’au crépuscule qui est si beau avec la mer, l’infini pour fond, et ces riches plantes, ces arbres aux larges feuilles ; puis, par contraste, les bambous, les palmiers. La fontaine, la grotte avec ses gouttes d’eau qui tombent sans cesse de rocher en rocher avant de tom-

  1. Dans Syrus il y a dolor. J’ai dit amor, car on peut appliquer la maxime à l’un et à l’autre.