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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Je le fais pour révéler une douleur qui m’afflige.
Quoique je chante, j’ai le désir de pleurer ;
Je le fais pour révéler une peine qui me tourmente…
Quoique je chante, je suis accablée de douleur !

Je resterais toute la nuit que je ne dirais pas tout ce que je veux dire, et si je parvenais à le dire, je ne dirais rien de nouveau, rien que je n’aie déjà dit.

En vérité, en vérité, toutes les choses que j’ai vues et entendues à Rome me viennent à l’esprit, et en contemplant ce mélange bizarre de dévotion, de libertinage, de religion, de canaillerie, de soumission, de dépravation, de pruderie et de fierté hautaine et de lâches bassesses, je me dis : En vérité, Rome est une ville unique, bizarre, sauvage et raffinée.

Tout y est différent des autres villes. On semble arriver sur une autre planète que la terre.

Et, en vérité, Rome, qui a eu un commencement fabuleux, une prospérité fabuleuse, une décadence fabuleuse, doit être quelque chose de saisissant et à part, au moral et au physique.

La ville de Dieu, la ville des prêtres, veux-je dire. Depuis que le roi y est, tout change, et encore ce n’est que chez les libéraux. Les noirs sont toujours les mêmes. C’est pour cela que je ne comprenais rien à ce que me disait A…, et je regardais toujours ses affaires comme des fables ou des choses tout à fait à part. Tandis que ce n’était que comme partout à Rome.

Faut-il que je sois tombée sur cet habitant de la lune, de la vieille lune, de la vieille Rome, veux-je dire, un neveu de cardinal !