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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— Oui, répondis-je en me levant toute raide. Quand ?

— À l’instant même.

Tout, tout, tout, pour ne pas rester seule à m’affoler, pour me fuir moi-même.

La somnambule se trouve partie. Cette course par la chaleur ne me fit ni bien ni mal. J’ai pris une poignée de cigarettes et mon journal avec l’intention de m’empoisonner les poumons, tout en écrivant des pages incendiaires. Mais toute volonté semblait m’avoir quittée.

Je marchai droite et lente comme dans un rêve, vers mon lit, et me couchai tout d’une pièce en tirant les rideaux de dentelle.

Il est impossible de raconter ma douleur ; d’ailleurs il arrive un moment où on ne sait plus se plaindre. Ecrasée comme je le suis, de quoi voulez-vous que je me plaigne ?

On ne peut se donner une idée du dégoût profond et du découragement que j’éprouve. Amour ! ô mot inconnu pour moi ! Alors, voilà la vérité ? c’est que cet homme ne m’a jamais aimée et a regardé le mariage comme un moyen de s’affranchir. Quant à ses protestations, je n’en parle pas, je n’en ai rien dit tout haut, je n’y attachais pas assez de foi pour en parler sérieusement.

Je ne dis pas qu’il ait toujours menti, on pense presque toujours ce qu’on dit au moment où on le dit, mais après ?

Et malgré tous les raisonnements, malgré l’Évangile,