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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

trouve heureux ainsi ; parce que vivre obscurément est pour lui le suprême bonheur. Et s’il ne désire pas le fracas, c’est qu’il s’en trouverait malheureux. Il y en a aussi qui n’osent pas ; ceux-là ne sont pas des sages, mais des lâches, car ils désirent sourdement et restent là où ils sont, non par vertu chrétienne, mais bien par leur nature timide et incapable. Mon Dieu, si je raisonne mal, éclairez-moi, pardonnez-moi, ayez pitié de moi !


Jeudi 22 juin. — Je me moquais quand on me vantait l’Italie et je me demandais pourquoi on faisait tant de bruit de ce pays ; et pourquoi on en parlait comme de quelque chose à part. C’est que c’est la vérité. C’est qu’on y respire autrement. La vie est autre, libre, fantastique, large, folle et languissante, brûlante et douce comme son soleil, son ciel, sa campagne. Aussi je m’enlève sur mes ailes de poète (je le suis quelquefois tout à fait, et presque toujours par un côté quelconque), et je suis prête à m’écrier avec Mignon :

Italia, reggio di ciel,
Sol beato !

Samedi 24 juin. — J’attendais qu’on m’appelât pour déjeuner, quand le docteur arriva tout essoufflé, me dire qu’on avait reçu une lettre de Pietro. Je rougis très fort, et sans lever les yeux du livre que je lisais :

— Bien, bien, et que nous écrit-il ?

— On ne lui donne pas d’argent ; d’ailleurs je ne sais pas, vous verrez mieux.

Je me suis bien gardée de m’empresser de demander, j’avais honte de montrer tant d’intérêt.