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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

tissement que ces recherches et ces explorations de moi-même.


Samedi 10 juin. — Vous savez, dis-je au docteur, que je crache le sang et qu’il faut me soigner ?

— Oh ! mademoiselle, dit Walitsky, si vous continuez à vous coucher tous les jours à trois heures du matin, vous aurez toutes les maladies.

— Et pourquoi pensez-vous que je me couche tard ? parce que je n’ai pas l’esprit tranquille. Donnez-moi la tranquillité et dormirai tranquille.

— Vous pouviez la prendre. Vous aviez l’occasion à Rome.

— Avec qui ?

— Avec A…, en vous mariant sans changer de religion.

— Oh ! mon ami Walitsky, quelle horreur ! Avec un homme comme A… ! pensez à ce que vous dites ! Un homme qui n’a ni opinion, ni volonté, quelle bêtise vous venez de dire ! Oh ! mais vraiment !

Et je me mis à rire doucement.

— Il ne vient pas, il n’écrit pas, continuai-je, c’est un pauvre enfant dont nous avons exagéré l’importance. Non, mon cher, ce n’est pas un homme et nous avions tort de penser autrement.

J’ai dit ces derniers mots avec le même calme que durant tout ce dialogue, calme de la conviction que j’avais d’avoir dit vrai et juste.

Je rentrai chez moi, et il se fit comme une grande lumière dans mon esprit. J’ai compris enfin que j’avais tort de permettre un baiser, un seul, mais tout de même un baiser ; de donner un rendez-vous au bas de l’escalier ; que si je n’étais allée ni dans le corridor, ni ailleurs, si je n’avais cherché le tête-à-tête, l’homme aurait eu plus