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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Il m’a aimée comme il a pu. C’était à moi de discerner, de comprendre qu’on ne jette pas les perles devant les pourceaux.

La punition est dure ; des illusions détruites pour longtemps et le remords envers moi-même ; j’avais tort de penser ainsi.

Il faut être comme les autres, prosaïque et vulgaire.

C’est sans doute ma grande jeunesse qui m’a fait faire des inutilités. Qu’est-ce que c’est que ces idées de l’autre monde ? On ne les comprend plus, car le monde n’a pas changé.

Voilà que je tombe dans l’erreur commune, voilà que j’accuse le monde pour la vilenie d’un seul. Parce qu’un seul a été lâche, je nie la grandeur d’âme et l’esprit !

Je nie l’amour de cet homme parce qu’il n’a rien fait pour cet amour. Et si on l’a menacé de le déshériter, de le maudire, cela pouvait-il l’empêcher de m’écrire ? Non, non. C’est un lâche…


Jeudi 8 juin. — Les livres de philosophie me surprennent. Ce sont des produits de l’imagination renversants. En lisant beaucoup et avec le temps, j’en prendrai l’habitude, mais à présent j’en perds l’haleine.

Que dites-vous de Fourier ? Et puis ce système de Jouffroy : « L’âme se répand au dehors sous la pression de la sensation, puis rentre en elle-même en retirant l’objet. »

C’est surprenant, mais stupide.

Quand la fièvre de la lecture me prend, je deviens enragée et il me semble que jamais je ne lirai tant ; je voudrais tout savoir et ma tête éclate, et je suis de nouveau comme enveloppée dans un voile de cendre et de chaos.