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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— On ne peut jouir de rien si on est indifférent à tout.

— Attendez, attendez, je ne suis pas indifférente, mais je n’accorde aux personnes que selon leur valeur.



Maman a pleuré aujourd’hui, ma tante a une figure toute bouleversée ; elles ont parlé de moi et de tous mes tourments.

Je revenais chez moi, les bras pendants, les yeux fixés devant moi, les sourcils froncés ; j’étouffais malgré le ciel bleu, la fontaine jaillissante, les néfliers couverts de fruits, l’air si pur. J’avançais sans m’en apercevoir.

Pourquoi ne pas supposer que je l’aime, tout indigne qu’il est ?

Ciel ! expliquez-moi quel est cet homme et quel est cet amour ?

Tout doit être écrasé en moi, l’amour-propre, l’orgueil et l’amour.


Mardi 6 juin. — J’ai lu la journée d’hier ; il n’y a que des douleurs et des larmes.

Vers deux heures j’étais assez montée pour ne plus me mettre en colère et pour ne soupirer que de mépris. Ces pensées sont indignes, on ne doit se souvenir des injures que lorsqu’on est en mesure de se venger. Y penser, c’est accorder trop d’importance à des gens indignes, c’est s’abaisser ; aussi n’est-ce pas aux gens que je pense, je pense à moi, à ma position, à l’insouciance de mes parents. Car tous les maux viennent de là.

Si les A… avaient soulevé la question de religion, cela ne ferait que m’amuser, et je crois bien que s’ils me priaient de prendre Pietro, je ne le prendrais pas.