n’est qu’une universelle indifférence. J’ai la plus grande bienveillance envers mes semblables. Je les vois mauvais, ce qui me rend indulgente au suprême degré… Avez-vous lu Épictète ? Je trouve qu’en ce qui concerne l’amitié il faut être stoïcien. Vous recevez un choc, et vous ne pouvez vous empêcher de faire un mouvement de surprise, de peur ; cela ne dépend pas de vous ; mais il dépend de vous d’acquiescer à vos premiers sentiments. On ne peut s’empêcher de ressentir certaines préférences, mais on peut s’empêcher d’acquiescer.
— Ces lectures mènent à l’athéisme ; vous finirez, Marie, par ne plus croire en rien
— Oh ! non. Si vous saviez ma pensée, vous ne le diriez pas.
— Tous les philosophes sont mauvais à lire.
— Non pas quand on a l’esprit solide… Mais tenez, dis-je, tout bien pesé, il n’y a qu’une chose qui vaille dans ce monde (je parle des choses de sentiment), c’est l’amour.
— Oui.
— Il n’y a pas au monde de plus grand plaisir que d’aimer et d’être aimée.
— C’est vrai.
— Et encore n’approfondissons pas, par grâce ! N’en prenons que le plaisir qu’on nous donne et celui que nous donnons. L’amour est une chose divine par elle-même, je veux dire pendant qu’il dure ; il rend l’homme parfait envers l’objet aimé ; dévouement, tendresse, passion, constance, sincérité, tout y est. Approfondissons donc l’amour, mais jamais l’homme. L’homme peut se comparer à une grotte. On y trouve ou l’humidité ou la saleté au fond, ou bien une sortie, c’est-à-dire que le fond n’existe pas du tout. Tout cela ne m’empêche pas d’aimer mes semblables.