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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

de pareilles idées, vous vous défiez de tout le monde.

— Je ne me défie pas, seulement je ne me fie à personne ; il y a une grande différence.

— Non, écoutez, Marie, vous n’avez d’amitié pour, personne.

— Mais pensez ce que ce serait si j’en avais ! Supposons qu’au lieu d’avoir pris Marie et Olga pour ce qu’elles étaient, pour de bonnes filles qui riaient avec moi, ne se moquant pas mal de moi, comme je me moquais d’elles ; supposons que je me lie avec Olga d’une tendre amitié. Je lui écris de Rome, elle me répond trois mots au bout de trois semaines ; je lui écris encore et cette fois elle ne répond pas du tout. Que dites-vous de cela ? Et ce n’est pas le premier exemple.

— Mais comment pouvez-vous demander à vos amis, si vous ne leur donnez rien ?

— Nous ne nous comprenons pas. Je leur donne toutes les amabilités possibles. Je suis prête à faire pour eux tout ce qu’il est en mon pouvoir de faire ; qu’on me demande n’importe quoi, je le ferai avec plaisir ; mais je ne donne pas à mes amis mon cœur, car, croyez-moi, il est bien vexant de le donner pour rien.

— On ne peut jamais être vexée quand on a bien fait, quand on a fait son devoir.

L’amitié n’est pas un devoir. Vous ne faites ni bien ni mal en donnant votre amitié. Une amitié comme la vôtre n’est pas susceptible, car elle n’est chez vous qu’un besoin perpétuel ; mais lorsqu’elle vient du fond du cœur, il est bien chagrinant de se voir payer par de l’ingratitude.

— Si quelqu’un est ingrat, tant pis pour lui.

— Voilà qui est égoïste. Avant je croyais que j’aimais tout le monde ; mais je vois que cet amour universel