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JOURNAL

Sophie. Ô mon Dieu, donne-moi le duc de H… ! je l’aimerai et je le rendrai heureux ; je serai heureuse, moi aussi, je ferai du bien aux pauvres. C’est un péché de croire qu’on peut acheter les grâces de Dieu avec les bonnes œuvres, mais je ne sais comment m’exprimer.

J’aime le duc de H… et je ne puis lui dire que je l’aime, et si je le lui disais même, il n’y ferait pas attention. Quand il était ici, j’avais un but pour sortir, m’habiller, mais maintenant !… J’allais à la terrasse dans l’attente de le voir, de loin, pour une seconde au moins. Mon Dieu, soulage ma peine ; je ne puis te prier davantage, entends ma prière. Ta grâce est si infinie, ta miséricorde est si grande, tu as fait tant de choses pour moi ! Cela me fait de la peine de ne pas le voir à la promenade. Sa figure s’est distinguée parmi les figures vulgaires de Nice.

Mme Howard nous a invitées hier à passer le dimanche avec ses enfants. Nous étions sur le point de partir, quand Mme Howard est rentrée, et nous a dit qu’elle était chez maman et lui a demandé la permission de nous garder jusqu’au soir. Nous restâmes, et après le dîner nous allâmes au grand salon, qui était sombre, et les filles m’ont tellement priée de chanter, elles se sont mises à genoux, les enfants de même ; nous avons beaucoup ri ; j’ai chanté : « Santa Lucia » « Le soleil s’est levé », et quelques roulades. Ils étaient tous tellement extasiés qu’ils se sont mis à m’embrasser affreusement : oui, c’est le mot. Si je pouvais produire le même effet sur le public, je me serais mise sur la scène aujourd’hui même.

C’est une si grande émotion d’être admirée pour