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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

de nouveau, et ce sont des choses qu’on sait et qu’on a dites depuis si longtemps… Puis j’ai lu Horace, La Bruyère et un troisième encore.

Je crains pour mes yeux. En peignant, j’ai dû m’arrêter plusieurs fois, n’y voyant plus. Je les use trop, car je passe tout mon temps à peindre, lire et écrire.

Ce soir, j’ai repassé mes résumés de classiques, cela m’a occupée. Et puis j’ai découvert un ouvrage très intéressant, sur Confucius, traduction latine et française. Il n’y a rien comme un esprit occupé ; le travail combat tout, surtout un travail de tête.

Je ne comprends pas les femmes qui passent leurs loisirs à tricoter ou à broder, les mains occupées et la tête oisive… Il doit venir un tas de pensées inutiles, dangereuses, et lorsqu’on a quelque chose à cœur particulièrement, la pensée s’appesantit sur cette chose et cela produit des effets déplorables.

Si j’étais heureuse et tranquille, je pourrais travailler des mains, je crois, pour penser à mon bonheur… Non, alors, je voudrais y penser les yeux fermés, je serais incapable de faire quoi que ce soit.

Demandez à tous ceux qui me connaissent ce qu’ils pensent de mon humeur, et ils vous diront : que je suis la fille la plus gaie, la plus insouciante, la plus ferme de caractère et la plus heureuse qui soit ; car j’éprouve un grand plaisir à paraître rayonnante et fière, imprenable de toute façon, et je m’escrime volontiers en discussions aussi sérieuses que folles.

Ici on me voit à l’intérieur. À l’extérieur je suis tout autre. On dirait que je n’ai pas eu une contrariété et que j’ai l’habitude d’être obéie par les hommes et par les choses.

Samedi 3 juin. — Tout à l’heure, en sortant de