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JOURNAL

nière. Jamais les chansons de Nice ne m’ont paru si charmantes ; le cri des grenouilles, le murmure de la fontaine, le chant lointain, tout cela avili par le bruit d’une prosaïque voiture.

Je lis Horace et Tibulle. Ce dernier ne parle que d’amour et ça me va. Et puis j’ai le texte français en face du latin ; cela m’exerce. Pourvu que toute cette histoire de mariage que j’ai suscitée par légèreté ne me nuise pas ! j’en ai peur.

Il ne fallait rien promettre à A…, il fallait lui répondre :

« Je vous remercie, monsieur, de l’honneur que vous voulez bien me faire, mais je ne puis rien vous dire avant d’avoir consulté mes parents. Que les vôtres en réfèrent aux miens, et on verra. Quant à moi, pouvais-je ajouter pour adoucir, je n’aurai rien contre vous. »

Ceci, accompagné d’un de mes sourires aimables et de ma main à baiser, aurait suffi.

Et je ne me compromettais pas, et on ne bavardait pas à Rome, et tout était bien.

J’ai de l’esprit, mais il vient toujours trop tard.

J’aurais sans doute mieux fait de lui faire une belle réponse comme celle que vous venez de lire, mais cela m’économiserait tant de plaisirs, et puis… la vie est si courte !… et puis, il y a toujours : et puis.

J’ai mal fait de ne pas avoir fait ma belle réponse, mais j’étais vraiment si troublée ; les raisonnables diront que oui, les sentimentales diront que non.

Mercredi 31 mai. — Ne dit-on pas que les beaux esprits se rencontrent ? Voilà que je lis La Rochefoucauld et que je trouve chez lui bien des choses que j’écris ici. Moi qui pensais avoir trouvé quelque chose