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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

être, appuyée à je ne sais plus quoi, avec ses bras croisés au-dessus de la tête. D’ailleurs la femme normale est blonde et l’homme normal est brun.

Les variétés et les phénomènes contraires sont quelquefois admirables, mais ce sont des non-sens.

Jamais je ne verrai rien de semblable au duc de H…, il est grand, fort, il a les cheveux d’un roux agréablement doré, une moustache pareille, de petits yeux gris perçants, une lèvre copiée sur celle de l’Apollon du Belvédère.

Et dans toute sa personne il y a un air si grand, si majestueux, insolent même, d’insouciance de tous les autres.

Je le vois peut-être avec des yeux d’amoureuse. Bah ! je ne crois pas.

Comment aimer un homme brun, laid, très maigre, ayant de beaux yeux, une démarche encore timide et pas de genre du tout, après un homme comme le duc, même après une distance de trois ans ? Et songez que trois ans, de treize à seize, dans la vie d’une jeune fille, c’est trois siècles.

Ainsi je n’aime personne que le duc ! Celui-là n’en sera pas fier et peu lui importe. Souvent je me compose des contes, je me représente des hommes connus et inconnus ; eh bien ! pas même à un Empereur je ne dis : « je vous aime » avec conviction. Il y en a auxquels je ne puis pas le dire du tout !… Arrêtez là ! je l’ai dit en réalité…

Mon Dieu, oui, mais je le pensais si peu, que cela ne vaut pas la peine d’en parler.


Dimanche 28 mai. — Après la promenade, rentrée chez moi ; je me mets à la fenêtre. C’est bizarre, rien ne semble changé ; il me semble être à l’année der-