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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Dieu ! que je suis contente d’avoir écrit exactement ce que je pense !


Vendredi 26 mai. — Ma tante dit qu’A… n’est qu’un enfant.

— C’est vrai, dit maman.

Ces paroles parfaitement vraies me montrent que je me suis salie pour rien, car enfin je me suis salie, sans amour et sans intérêt… C’est vexant !

Après son départ à Rome, je me suis regardée dans la glace, croyant que mes lèvres avaient changé de couleur. Nulle personne n’est aussi sensitive que moi ! Depuis que ma figure est souillée, je me sens sale comme après vingt-quatre heures de voyage en chemin de fer.

A… aura le droit de dire que je l’aimais et que j’ai été bien malheureuse de ce mariage manqué.

Un mariage manqué est toujours une tache sur la vie d’une jeune fille.

Tout le monde dira que nous nous aimions. Mais personne ne dira que le refus vient de moi. Nous ne sommes ni assez aimés ni assez grands pour ça.

D’ailleurs les apparences donneront raison à ceux qui le diront ; cela me fait enrager…

Sans ces quelques paroles de V…, je n’aurais jamais été si loin… « Ô jeune fille ! vous êtes bien jeune encore !… » Au fait j’avais besoin, pour calmer mon amour-propre, d’entendre toutes ces offres de mariage. Remarquez que je n’ai rien dit de positif ; j’ai laissé parler, mais comme je me laissais prendre les mains et les baiser, le jeune présomptueux n’a pas remarqué le ton, et, tout heureux et tout surexcité, n’est entré en défiance de rien.

Je savais bien qu’il était sérieux, mais je ne m’atten-