Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/180

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— Eh bien, dit-elle d’une voix qui me fit tressaillir, je le savais bien quand je t’ai appelée, tout à l’heure.

— Comment ?

— J’ai rêvé que maman était venue et me disait : Ne laisse pas Marie seule avec A…

J’eus froid dans le dos en comprenant que j’avais couru un vrai danger. — J’ai exprimé mes craintes qu’on n’écrive des calomnies de Nice.

— Il n’y a rien à dire, dit ma tante. Si on ose dire des calomnies, on n’ose pas les écrire.


Nice. — Mardi 23 mai. — Je voudrais pourtant me rendre compte d’une chose : j’aime ou je n’aime pas ? Je me suis fait une telle idée des grandeurs et des richesses que Pietro me semble un bien petit seigneur. Ah ! H !

Et si j’attendais ! Attendre quoi ? Un prince millionnaire, un H… Et si rien ne vient ?

Je tâche de me persuader qu’A… est très chic, mais qu’en le voyant de tout près, il me semble moins qu’il n’est.

Voilà une triste journée ! J’ai commencé le portrait de Colignon, sur un fond de draperies bleu ciel. C’est tout ébauché et je suis vraiment contente de moi et de mon modèle, car il pose très bien.

Je sais bien qu’A… ne peut pas encore m’écrire et pourtant je suis inquiète.

Ce soir, je l’aime. Ferai-je bien de l’accepter ? Tant qu’il y aura de l’amour, ce sera bien, mais après ?

Je crains bien que la médiocrité ne me fasse pendre de rage ! Je raisonne et je discute, comme si j’étais la maîtresse de la situation. Ah ! misère de misère !…

Attendre ! Attendre quoi ?…

Et si rien ne vient ? Bah ! avec ma figure on trouve,