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JOURNAL

Nous nous sommes embrassés et je m’enfuis sans me retourner. C’est comme une scène d’un roman que j’ai lue quelque part. Fi ! Je suis mécontente de moi ! Serai-je toujours mon propre critique ou bien est-ce parce que je n’aime pas tout à fait ?

— Il est quatre heures ! cria ma tante.

— D’abord, ma tante, il n’est que deux heures et dix minutes, et puis ensuite laissez-moi tranquille.

Je me déshabillai, tout en pensant : Quelqu’un qui m’aurait vue entrer au salon près de l’escalier à minuit et en sortir à deux heures, deux heures passées dans un tête-à-tête absolu avec un Italien des plus dévergondés, ce quelqu’un ne croirait pas le bon Dieu, s’il lui prenait fantaisie de descendre du ciel pour affirmer combien c’était innocent.

Moi-même, à la place de ce quelqu’un, je ne croirais pas, et pourtant voyez ! Doit-on assez se défier des apparences ? Souvent ainsi on juge et on fait des conclusions définitives, lorsqu’il n’y a que presque rien.

— C’est affreux ! Tu mourras, en veillant si tard, criait ma tante.

— Écoutez, dis-je en ouvrant sa porte, ne grondez pas, ou je ne vous dirai rien.

— Oh ! Diable ! diable !

— Oh ! ma tante, vous vous repentirez…

— Qu’y a-t-il ? Ô quelle fille !

— D’abord je n’ai pas écrit, je suis restée avec Pietro.

— Où ça, malheureuse !

— En bas.

— Quelle horreur !

— Ah ! Si vous criez, vous ne saurez rien.

— Tu étais avec A… ?

— Oui !