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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

L’aimais-je vraiment ou bien avais-je la tête montée ? qui saurait le dire au juste ? Pourtant, du moment où le doute existe… il n’y a plus de doute.

— Oui, je vous aime, dis-je en prenant et serrant fortement ses deux mains !

Il ne répondit rien ; peut-être n’a-t-il pas compris l’importance que j’attachais à mes paroles, peut-être les trouvait-il toutes naturelles ?

Mon cœur ne battait plus. Certes ce fut un délicieux moment, car il demeura immobile comme moi et sans proférer une parole.

Mais la peur m’a prise et je lui ai dit qu’il faut partir. — Il est temps.

— Déjà ? Attendez un instant encore, près de moi. Que nous sommes bien ainsi ! Vous m’aimez ? fit-il, et tu m’aimeras toujours, dis, tu m’aimeras toujours ?

Ce tutoiement me donna froid et me parut humiliant.

— Toujours ! disais-je mécontente, toujours, et vous, vous m’aimez ?

— Oh ! comment pouvez-vous demander de pareilles choses ? Oh ! ma chérie, je voudrais qu’on ne pût sortir d’ici !

— Nous serions morts de faim, dis-je humiliée de ce nom caressant qu’il me donnait, et ne sachant comment répondre.

— Mais quelle belle mort ! Alors, dans un an ? dit-il, en me mangeant des yeux.

— Dans un an, répétai-je, plus pour la forme que pour autre chose. — J’agissais en amoureuse pénétrée, enivrée, inspirée, grave et solennelle.

En ce moment j’entends ma tante qui, voyant toujours de la lumière chez moi, s’impatientait.

— Vous entendez ? dis-je.