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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Dès lors je fus soulagée et singulièrement agitée. A… se tournait vers la pendule à chaque instant, et je craignais qu’on n’en comprit la cause. Comme si on pouvait deviner ! Il n’y a que les consciences coupables pour avoir de ces peurs.

— À minuit, il se leva et me dit bonsoir, en me serrant fortement la main.

— Bonsoir, monsieur, dis-je.

Nos yeux se rencontrèrent, je ne saurais décrire comment, ce fut un éclair.

— Eh bien, ma tante, nous partons demain de bonne heure ; rentrez, je vous enfermerai chez vous, comme ça vous ne m’empêcherez pas d’écrire et je me coucherai vite.

— Tu le promets ?

— Certainement.

J’enfermai ma tante et, après avoir jeté un coup d’œil dans la glace, je descendis l’escalier, et Pietro se glissa dans l’entre-bâillement comme une ombre.

— On se dit tant, en se taisant, quand on s’aime ! Du moins, moi, je vous aime ! murmura-t-il.

Je m’amusais de faire une scène de roman et pensais involontairement à ceux de Dumas.

— Je pars demain. Et nous avons à causer sérieusement, et moi qui l’oubliais !…

— C’est qu’on ne pense plus à rien.

— Venez, dis-je en fermant la porte pour ne laisser qu’un faible rayon de lumière.

Et je m’assis sur la dernière marche du petit escalier qui occupe le fond du couloir.

Il s'agenouilla.

À chaque instant je croyais entendre venir, je restais immobile et tressaillant à chaque goutte de pluie qui tombait sur les carreaux.