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JOURNAL

entendant ces énormités et ces tyrannies. Oui ! ils me font peur et ses deux frères aussi ; mais ce n’est cela qu’il s’agit, je suis toujours libre d’accepter ou de refuser.

Je remercie Dieu de m’avoir délié la plume ; hier, c’était un supplice, je ne pouvais pas m’expliquer.

Tout ce que j’ai entendu ce soir, tout ce que j’en conclus et toutes les choses d’avant sont lourdes pour ma tête. Et puis il y a simplement le regret de le voir partir ce soir ; c’est si long jusqu’à demain ! J’ai senti une grande envie de pleurer d’incertitude et peut-être d’amour.

Puis, appuyant le menton dans la main gauche et le coude gauche dans la main droite, le sourcil froncé et la lèvre dédaigneuse, je me mis à songer à tout, à ce qu’il me fallait, et surtout à ce que je n’avais pas.

Puis, je me mis à écrire et, ayant senti un irrésistible besoin de rêver, je cessai un instant et me remis à écrire tout ceci.


Mercredi 17 mai. — J’avais beaucoup à dire d’hier encore, mais tout s’efface devant ce soir.

Il m’a parlé de nouveau de son amour ; je l’assurai que c’était inutile, car mes parents ne consentiraient jamais.

— Ils auraient raison, dit-il rêveur ; je ne suis bon à faire le bonheur de personne. Je l’ai dit à ma mère, j’ai parlé de vous, j’ai dit : « Elle est si religieuse et bonne, et moi, je ne crois en rien et je ne suis qu’un misérable. » Tenez, je suis resté dix-sept jours au couvent, j’ai prié, j’ai médité, et je ne crois pas en Dieu, et la religion n’existe pas pour moi, je ne crois en rien.

Je le regardai avec de grands yeux effrayés