Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

une conversation indifférente entremêlée de mots prononcés si bas que je n’ai pu les entendre, et enfin il a encore répété qu’il ne m’aimait que de près, que j’étais de glace, qu’il irait en Amérique, que lorsqu’il me voit, il m’aime, tandis qu’au loin il oublie.

Je l’ai prié très sèchement de ne plus parler de cela.

Ah ! je ne peux pas écrire et vous voyez vous-même ce que je dois sentir et combien je suis insultée !

Je ne peux pas écrire ! et cependant quelque chose me l’ordonne. Tant que je n’ai pas tout raconté, quelque chose me tourmente.

J’ai causé et fait du thé de mon mieux jusqu’à dix heures et demie. Alors arriva Pietro ; Simonetti s’en alla bientôt et nous sommes restés à trois. On parla de mon journal, c’est-à-dire des questions que j’y traite, et A… me pria de lui lire quelque chose sur l’âme et sur Dieu. Alors j’allai dans l’antichambre et m’agenouillai auprès de la fameuse boîte blanche en cherchant, pendant que Pietro tenait la bougie… Mais alors, comme en cherchant j’ai rencontré des passages d’un intérêt commun, je lisais, et cela a duré presque une demi-heure.

Ensuite, il se mit, en revenant au salon, à raconter toutes sortes d’anecdotes sur sa vie depuis l’âge de dix-huit ans.

J’ai écouté tout ce qu’il a dit, avec une certaine terreur et une certaine jalousie.

D’abord cette dépendance absolue me glace ; on lui défendrait de m’aimer, il obéirait, j’en suis certaine.

Sa famille, les prêtres, les moines m’effrayent. Quoi qu’il m’ait dit de leur bonté, je suis saisie d’effroi en