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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

vous pensez. D’ailleurs, si je ne le suis pas, c’est par égoisme.

Ce serait affreux de vivre, avec un homme qu’on déteste, et ni richesse ni position ne me profiterait. Ah ! Dieu ! sainte Vierge, protégez-moi !


6 mai. — Vous savez, une idée ? je voudrais follement revoir Pietro.

Ce soir, je donne une fête, comme on n’en a plus vu depuis des années à la rue de France. Vous savez qu’à Nice existe l’usage de tourner le Mai, c’est-à-dire, on suspend une couronne, une lanterne, et on danse, au-dessous, des rondes en chantant. Depuis que Nice est française, cet usage s’en va de plus en plus ; à peine si on voyait trois ou quatre lanternes dans toute la ville.

Eh bien, moi, je leur donne un rossigno ; je nomme cela ainsi parce que le Rossigno che vola, c’est la chanson la plus populaire et la plus jolie de Nice.

J’ai fait préparer d’avance et suspendre au milieu de la rue une grande machine de feuillages et de fleurs tout ornée de lanternes vénitiennes.

Sur le mur de notre jardin, Triphon (le domestique de grand-papa) a été chargé d’organiser un feu d’artifice et d’éclairer de temps en temps la scène par des feux de Bengale. Triphon ne se sent pas de joie. Toutes ces splendeurs sont accompagnées d’une harpe, d’une flûte et d’un violon, et arrosées de vin en abondance. Les bonnes femmes vinrent nous inviter sur leurs terrasses, car moi et Olga regardions seules perchées sur une échelle de bois.

On va sur la terrasse des voisins, et moi, Olga, Marie et Dina, nous nous mettons au milieu de la rue appelant les danseuses, et tâchons et réussissons à donner de l’entrain.