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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

La société auprès d’une table et moi avec Pietro auprès d’une autre. Et nous avons raisonné de l’amour en général et de l’amour de Pietro en particulier. Il a des principes déplorables ou, plutôt, il est si fou qu’il n’en a pas du tout. Il parlait si légèrement de son amour pour moi que je ne sais que penser. D’ailleurs il me ressemble tant de caractère, que c’est extraordinaire.

Je ne sais pas ce qui fut dit,’mais au bout de cinq minutes nous n’étions plus en querelle, nous nous sommes expliqués et on s’est engagé à se marier, lui du moins. Moi, je me taisais la plupart du temps.

— Vous partez jeudi ?

— Oui, et vous m’oublierez.

— Ah ! ça, non, par exemple. J’irai à Nice.

— Quand ?

— Aussitôt que je pourrai. À présent, je ne puis pas.

— Pourquoi ? Dites, dites, à l’instant !

— Mon père ne me le permettrait pas.

— Mais vous n’avez qu’à lui dire la vérité.

— Sans doute, je lui dirai que j’y vais pour vous, que je vous aime, que je veux me marier, mais pas à l’instant. Vous ne connaissez pas mon père ; je viens d’être pardonné, mais je n’ose encore rien demander.

— Parlez demain.

— Je n’oserai pas. Je n’ai pas encore sa confiance. Pensez, depuis trois ans, il ne me parlait plus. Dans un mois, je serai à Nice.

— Dans un mois, je n’y serai plus.

— Et où irez-vous ?

— En Russie. Et voilà, je partirai et vous m’oublierez.

— Mais dans quinze jours, je serai à Nice et alors…