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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

mer, dont il est lui-même séparé par un assez grand espace de terrain vide, couvert de pierres, de constructions et offrant un spectacle de tristesse vraiment désolant.

Arrivé sur le carré qui termine la Chiaja et qui est planté de jolis arbustes, on se sent bien mieux, et cet endroit-là est joli. Plus loin, on entre sur le quai ; à gauche, les maisons ; à droite, la mer, mais la mer arrêtée par un mur à balustre et garni de marchands d’huîtres, de coquillages ; puis viennent les grilles du port, les différentes constructions du service des bateaux, le port lui-même ; mais ça, ce n’est plus la mer, c’est un sale endroit tout obstrué par un tas de laideurs.

Le temps gris me rend toujours un peu triste ; mais ici, mais aujourd’hui il m’opprime.

Ce silence de mort dans notre appartement d’hôtel, ce bruit agaçant de fiacres et de charrettes à grelots au dehors, ce ciel gris, ce vent qui agite les rideaux ! Ah ! je suis bien misérable, et il ne faut m’en prendre ni au ciel, ni à la mer, mais à la terre !


Vendredi 21 avril. — En entrant au salon ce matin, j’ai été suffoquée par l’odeur des fleurs. La chambre en est littéralement pleine. Ce sont les fleurs de Doenhoff, d’Altamura et de Torlonia. Doenhoff a envoyé une table en fleurs. On a remplacé le guéridon par la table en fleurs ; mais ce n’est point de cela que je voulais parler.

Écoutez donc ceci : Puisque l’âme existe, puisque c’est l’âme qui anime le corps, puisque c’est cette vaporeuse substance qui seule sent, qui aime, qui déteste, qui désire ; puisque enfin c’est l’âme qui nous fait vivre, comment se fait-il donc qu’une déchirure quelconque