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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

route est belle et l’on peut admirer le Vésuve, les villes de Castellamare et Sorrente.

Le service des fouilles est admirablement fait. C’est une chose curieuse que de parcourir les rues de cette ville morte.

Nous avions pris une chaise à porteurs et, maman et moi, nous y reposions chacune à notre tour.

Les squelettes sont affreux ; ces malheureux sont dans des poses déchirantes. Je regardais les restes des maisons, des fresques, et tâchais de rétablir tout cela dans mon imagination, de repeupler ces maisons et ces rues.

Quelle effrayante force que celle qui a englouti toute une ville !

J’entendais maman parler mariage :

— La femme est faite pour souffrir, disait-elle, même avec le meilleur des maris.

— La femme avant le mariage, dis-je, c’est Pompéi avant l’éruption ; et la femme après le mariage, c’est Pompéi après l’éruption.

Peut-être ai-je raison !

Je suis très fatiguée, inquiète, chagrine. Nous ne rentrons qu’à huit heures.


Mercredi 19 avril. — Voyez le désavantage de ma position. Pietro, sans moi, a le cercle, le monde, ses amis, tout, en un mot, excepté moi ; tandis que moi sans Pietro, je n’ai rien.

Je ne suis pour lui qu’une occupation de luxe. Lui était pour moi, tout. Il me faisait oublier mes préoccupations de jouer un rôle dans le monde et je n’y pensais pas, et ne m’occupais que de lui, trop heureuse d’échapper à mes pensées.

Quoi que je devienne, je lègue mon journal au public.