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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Il n’a pas obéi lorsqu’il s’est agi du service militaire. Assez, assez, fi !

La misère, fi ! la bassesse ! Je ne peux plus arrêter ma pensée sur un tel homme. Si je me lamente, c’est sur mon malheureux sort, c’est sur ma pauvre vie à peine commencée et pendant laquelle je n’ai eu que des déceptions !

Certes, comme tous les hommes, peut-être même plus que les autres, j’ai péché, mais aussi j’ai du bon, et il est injuste de m’humilier dans tout.

Je me suis mise au milieu de la chambre en joignant les mains et levant les yeux, et quelque chose me dit que la prière est inutile, j’aurai ce qui m’est réservé.

Ni une douleur de moins, ni une souffrance de plus, comme dit Mgr de Falloux.

Il n’y a qu’une seule chose à faire : se résigner. Je sais bien, pardieu, que c’est difficile, mais où serait le mérite ?…

Je crois, folle que je suis, que les élans d’une foi furieuse, que des prières ardentes peuvent quelque chose !

Dieu veut une résignation allemande, et j’en suis incapable.

Croit-il que ceux qui se résignent ainsi aient à se vaincre ?

Oh ! que non ! Ils se résignent parce qu’ils ont de l’eau dans les veines au lieu du sang, parce que cela coûte moins de peine.

Est-ce un mérite d’être calme quand ce calme est dans la nature ? Si je pouvais me résigner, j’obtiendrais tout, car ce serait sublime. Mais je ne peux pas. Ce n’est plus une difficulté, c’est une impossibilité. Pendant des instants d’abrutissement, je serai résignée ;