Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.
137
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Non, écoutez, je voudrais vivre où je serais bien, aimer partout et mourir nulle part.

Cependant, j’aime assez la vie italienne, romaine, veux-je dire ; il y reste encore une légère teinte de la magnificence antique.

On se fait souvent une fausse idée de l’Italie et des Italiens.

On se les imagine pauvres, intéressés, en pleine décadence. C’est tout le contraire. Rarement, dans les autres pays, on trouve des familles aussi riches et des maisons tenues avec autant de luxe. Je parle, bien entendu, de l’aristocratie.

Rome sous le pape était une ville à part et souveraine du monde en son genre. Alors, chaque prince romain était comme un petit roi, il avait sa cour et ses clients comme dans l’antiquité. C’est à ce régime que tient la grandeur des familles romaines. Certes, dans deux générations, il n’y aura plus ni grandeurs, ni richesses, car Rome est soumise aux lois royales, et Rome deviendra comme Naples, Milan et les autres villes de l’Italie.

Les grandes fortunes morcelées, les musées et les galeries acquis au gouvernement, et les princes de Rome transformés en un tas de petites gens, couverts d’un grand nom comme d’un vieux manteau de théâtre pour couvrir leurs misères. Et quand ces grands noms, si respectés avant, seront traînés dans la boue, quand le roi pensera être grand lui tout seul, ayant foulé sous ses pieds toute la noblesse, il apercevra bien, dans un instant, ce que c’est qu’un pays où il n’y a rien entre le peuple et son roi.

Voyez plutôt la France.

Mais voyez l’Angleterre, on est libre, on est heureux. Il y a tant de misère en Angleterre ! direz-vous. Mais en