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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— Mais pourquoi ?

— Parce que… parce que je ne puis pas m’habituer à sa figure !

Le fiancé entendait tout cela du salon. Une heure après, il bouclait sa malle en l’arrosant de larmes et partait. C’était le dix-septième mariage manqué.

Je me rappelle si bien ce : « Je ne puis pas m’habituer à sa figure ! » ça partait tellement du cœur, que je compris alors, même très bien, que ce serait vraiment horrible d’épouser un homme à la figure duquel on ne peut s’habituer.

Tout ça nous ramène à Bade en 1870. La guerre étant déclarée, nous avons filé sur Genève, moi le cœur rempli d’amertume et de projets de revanche. Tous les jours avant de me coucher, je récitais tout bas cette prière supplémentaire :

— Mon Dieu, faites que je n’aie jamais la petite vérole, que je sois jolie, que j’aie une belle voix, que je sois heureuse en ménage et que maman vive longtemps !

À Genève, nous avons logé à l’hôtel de la Couronne, au bord du lac. On m’a donné un professeur de dessin qui a apporté des modèles à copier : des petits chalets où les fenêtres étaient dessinées comme des troncs d’arbres et qui ne ressemblaient pas aux vraies fenêtres des vrais chalets. Aussi n’en ai-je pas voulu, ne comprenant pas qu’une fenêtre fût faite