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JOURNAL

rien, et Dina ne me portait pas ombrage, bien que fille du bien-aimé Georges. — Encore une histoire. Lorsque Dina vint au monde, grand’maman alla la prendre sans cérémonie à sa mère et la garda toujours. C’était avant ma naissance à moi.

Après Mme Melnikoff, j’eus pour gouvernante Mlle Sophie Dolgikoff, âgée de seize ans. — Sainte Russie !! — Et une autre, française, qu’on appelait Mme Brenne, qui portait une coiffure à la mode du temps de la Restauration, avait des yeux bleu pâle et semblait très triste, avec ses cinquante ans et sa phtisie. Je l’aimais beaucoup. Elle me faisait dessiner. J’ai dessiné, avec elle, une petite église au trait. Du reste, je dessinais souvent ; pendant que les grands faisaient leur partie de cartes, je venais dessiner sur le tapis vert.

Mme Brenne est morte en 1868, en Crimée. — La petite Russe, traitée en enfant de la maison, a été sur le point de se marier avec un jeune homme que le docteur avait amené et qui était connu par ses échecs matrimoniaux. Cette fois, tout semblait marcher à ravir, lorsque, un, soir, en entrant dans sa chambre, je vois Mlle Sophie qui pleurait comme une perdue, le nez dans ses coussins. Tout le monde est arrivé.

— Quoi, qu’y a-t-il ?

Enfin, après bien des larmes et des sanglots, la pauvre enfant finit par dire qu’elle ne pourrait jamais, non, jamais !… Et des pleurs !