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JOURNAL

— Horreur !

— Attendez… je ne vous le propose pas. C’est une horreur, je sais, quand on n’aime pas. Ce ne serait pas une horreur, si vous aimiez.

— Monsieur, je vous prie de ne pas parler de cela.

— Mademoiselle, je ne vous en parle pas, je vous en parlerais si vous m’aimiez.

— Je ne vous aime pas.

Je ne l’aime pas et je me laisse dire toutes ces choses, voilà une absurdité !

Je crois qu’il a parlé à son père et qu’il n’a pas été reçu tendrement. Je ne peux pas me décider ; j’ignore entièrement les conditions, et pour rien au monde je ne consentirais à aller vivre dans une famille. J’ai assez de la mienne, que serait-ce avec des étrangers ? N’est-ce pas que je suis pleine de sens pour mon âge ?

— Je vous suivrai, a-t-il dit l’autre soir.

— Venez à Nice, lui ai-je dit aujourd’hui.

Il ne répondit rien et resta la tête baissée, ce qui me prouve qu’il a parlé à son père.

Je ne comprends pas du tout. J’aime et je n’aime pas.


Mercredi 29 mars. — J’ai dit qu’A… n’avait pas encore tout foulé aux pieds pour moi.

— Je vous aime, m’a-t-il dit, je ferai n’importe quoi pour vous !

— Le Pape vous maudira, le Cardinal vous maudira et votre père vous maudira.

— Je m’inquiète bien de tous ces gens-là quand il s’agit de vous ! Je ne me fiche pas mal de tout le monde !… Si vous aimiez comme j’aime, vous diriez ce que je dis. Si vous aviez une passion pour moi comme moi j’en ai une pour vous, vous ne parleriez pas