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JOURNAL

mencé : depuis le premier soir de la représentation de la Vestale

— Je vous aime tant, dit-il ; que je ferais n’importe quoi pour vous. Dites-moi d’aller me tirer deux coups de revolver, et je le ferai.

— Et que dirait votre mère ?

— Ma mère pleurerait, et mes frères diraient : « Au lieu de trois, nous sommes deux à présent. »

— C’est inutile, je ne veux pas de pareille preuve,

— Mais alors, que voulez-vous ? dites ! Voulez-vous que je saute par cette fenêtre dans le bassin qui est là-bas ?

Et il s’élança vers la fenêtre, je le retins et il ne voulut plus lâcher ma main.

— Non, dit-il en avalant quelque chose comme une larme, je suis calme à présent ; mais il y a un instant, Dieu !… ne me réduisez pas à une pareille rage, répondez-moi, dites quelque chose.

— Tout cela, ce sont des folies !

— Oui, peut-être des folies de jeunesse ; mais je ne crois pas, jamais je n’ai senti ce que je sens aujourd’hui, à l’instant, ici. J’ai cru devenir fou.

— Dans un mois, je partirai et tout sera oublié.

— Je vous suivrai partout.

— On ne vous le permettra pas.

— Et qui m’en empêchera ? s’écria-t-il en bondissant vers moi.

— Vous être trop jeune, dis-je, en changeant de musique, et de Mendelssohn passant à un nocturne plus doux et plus profond :

— Marions-nous, nous avons devant nous un avenir superbe.

— Oui, si je le voulais.

— Ah ! parbleu, sans doute vous voulez !