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JOURNAL

Tant mieux, vous êtes encore mieux ainsi, décoiffée, vous êtes encore plus… vous êtes… (Il s’arrêta et sourit.) Vous êtes encore plus, je ne sais comment dire… plus excitante.

Je pense à présent au moment où il me dit : « Je vous aime » et quand j’eus répondu pour la centième fois : « Ce n’est pas vrai… » Il se secoua sur la selle et se baissant et abandonnant les rênes : « Vous ne me croyez pas ! » s’écria-t-il en cherchant mes yeux que je tenais baissés. (Non pas par coquetterie, je vous le jure.) Oh ! en ce moment, il disait vrai. J’ai levé la tête et j’ai vu son regard inquiet, ses yeux noirs, marrons, grands ouverts, qui semblaient vouloir chercher ma pensée jusqu’au fond de mon cœur. Ils étaient inquiets, irrités, agacés, par la fuite des miens. Je ne le faisais pas exprès ; si je l’avais regardé en face, j’aurais pleuré. J’étais énervée, confuse, je ne savais où me mettre et il a pensé peut-être que je jouais à la coquetterie. Oui, en ce moment du moins, je sais qu’il ne mentait pas.

— Vous m’aimez à présent, répondis-je, dans une semaine vous ne m’aimerez plus.

— Oh ! de grâce. Je ne suis pas un de ces hommes qui passent leur vie à chanter aux demoiselles, je n’ai jamais fait la cour à personne, je n’aime personne. Il y a une femme qui veut à toute force se faire aimer de moi. Elle m’a donné cinq ou six rendez-vous, j’ai toujours manqué, parce que je ne peux pas l’aimer, vous voyez bien !

Bast, bast, je n’en finirai jamais, si je me mets dans mes souvenirs et à écrire. On a dit tant de choses !

Allons, allons, il faut dormir.