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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Je lui tends la main en silence et il me la serre, — pas comme avant.

— Je savais bien ! s’écrie Dina, il lui a dit quelque chose, elle l’a repoussé, il a fait sauter son cheval et voilà l’accident.

— En vérité, ma chère, en effet, il m’a dit beaucoup de choses.

— Ça y est ? demande Dina.

— En plein, ma chère ! dis-je d’un air de gommeux.

Je rentre, me déshabille, passe un peignoir et m’étends sur le canapé, fatiguée, charmée, étourdie. Je ne comprenais d’abord rien, j’avais tout oublié pendant deux heures, il m’a fallu deux heures pour rassembler ce que vous venez de lire. Je serais au comble de la joie si je le croyais, mais je doute, malgré son air vrai, gentil, naïf même. Voilà ce que c’est que d’être soi-même une canaille. D’ailleurs cela vaut mieux.

Dix fois je quitte le cahier pour m’étendre sur le lit, pour repasser tout dans ma pauvre tête, et rêver et sourire.

Voyez, bonnes gens, je suis là toute bouleversée, et lui est sans doute au club.

Je me sens tout autre, toute bête ; je suis calme, mais encore étourdie de ce qu’il m’a dit. Je me souviens encore, il m’a dit qu’il était ambitieux.

— Chaque homme bien né doit l’être, lui ai-je répondu.

J’aime la façon dont il me parlait. Ni rhétorique, ni affectation, on voyait qu’il pensait tout haut, Il m’a dit des choses très gentilles, par exemple celle-ci :

— Vous êtes toujours gentille, dit-il, je ne sais comment vous faites.

— Je suis toute décoiffée.