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JOURNAL

depuis que vous n’allez plus à l’Opéra, je, n’y vais plus. C’est surtout quand je suis seul que je songe. Je me représente, en imagination, que vous êtes là ; je vous assure que je n’ai jamais senti ce que je sens, d’où je conclus que c’est de l’amour. Je désire vous voir, je vais au Pincio ; je désire vous voir, je suis furieux, puis je rêve de vous. C’est comme cela que j’ai commencé à éprouver le plaisir de l’amour.

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-trois ans. J’ai commencé la vie depuis dix-sept ans, j’ai pu devenir amoureux cent fois, je ne le suis pas devenu. Je n’ai jamais été comme ces garçons de dix-huit ans, qui tiennent à une fleur, à un portrait ; c’est bête, tout cela. Si vous saviez, quelquefois, je pense, je trouve tant à dire et, et…

— Et vous ne pouvez pas ?

— Non, ce n’est pas cela ; je suis devenu amoureux et bête.

— Ne pensez pas cela, vous n’êtes pas du tout bête.

— Vous ne m’aimez pas, dit-il en se tournant vers moi.

— Je vous connais si peu, que vraiment c’est impossible de savoir, répondis-je.

— Mais quand vous me connaîtrez davantage, dit-il doucement en me regardant d’un air tout à fait timide (Alors il baissa la voix), vous m’aimerez peut-être un peu ?

— Peut-être, dis-je aussi doucement.

Il faisait presque nuit, nous étions arrivés. Je me mis en voiture, Il va s’excuser près de maman, qui lui fait quelques recommandations concernant les chevaux pour la prochaine fois, et nous partons.

— Au plaisir de nous revoir ! dit A… à maman.