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JOURNAL

— Allons au petit trot jusqu’à la voiture, dit-il, car nous avons fini de descendre.

Je mis mon cheval au trot, mais, à quelques pas de la voiture, il prit le galop. J’ai tourné à droite, A… me suivit, mon cheval allait d’un galop très-rapide ; j’essayai de le retenir, mais il prit carrière. La rosse s’était emportée. La plaine était grande ; je courais, mais mes efforts étaient vains ; mes cheveux tombèrent mes épaules, mon chapeau roula à terre, je faiblissais, j’eus peur. J’entendais A… derrière moi, je sentais l’émotion qu’on avait dans la voiture, j’eus envie de sauter à terre, mais le cheval allait comme sur un trait. — C’est bête d’être tuée ainsi, pensais-je, je n’avais plus de force ; il faut qu’on me sauve !

— Retenez-le ! cria A… qui ne pouvait me rattraper.

— Je ne peux pas, dis-je à voix basse.

Mes bras tremblaient. Un instant encore et j’allais perdre connaissance, quand il arriva tout près, donna un coup de cravache à la tête de ma monture, et je saisis son bras, tant pour me retenir que pour le toucher.

Je le regardai, il était pâle comme un mort ; jamais je n’ai vu une figure aussi bouleversée !

— Dieu ! répétait-il, quelle émotion vous m’avez causée !

— Oh ! oui, sans vous, je tombais ; je ne pouvais plus le retenir. À présent, c’est fini… Eh bien, c’est joli, ajoutai-je en essayant de rire. Qu’on me donne mon chapeau !

Dina était descendue, nous nous approchâmes du landau. Maman était hors d’elle, mais elle ne me dit rien : elle savait qu’il y avait quelque chose et ne voulait pas m’ennuyer.

— Nous irons doucement, au pas, jusqu’à la porte.