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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

tourneriez vers lui, et lui feriez un signe avec l’œil, et vous ririez !

— Moi, hypocrite ! oh ! si c’est ainsi, bien, bien !…

— Vous martyrisez votre cheval ; descendons.

— Vous ne croyez pas que je vous aime ? dit-il encore en cherchant mes yeux et en se baissant vers moi, avec une expression de sincérité qui m’a fait palpiter le cœur.

— Mais non, dis-je faiblement. Tenez votre cheval et descendons.

Toutes ses tendresses étaient encore mêlées de préceptes d’équitation,

— Peut-on ne pas vous admirer ? dit-il en s’arrêtant, quelques pas plus bas que moi et en me regardant. Vous êtes belle, reprit-il, seulement je crois que vous n’avez pas de cœur.

— Au contraire, j’ai un excellent cœur, je vous assure.

— Vous avez un excellent cœur et vous ne voulez pas aimer !

— Cela dépend.

— Vous êtes une enfant gâtée, n’est-ce pas ?

— Pourquoi ne me gâterait-on pas ? Je ne suis pas ignorante, je suis bonne, seulement je suis emportée.

Nous descendions toujours, mais pas à pas, car la descente était très rapide et les chevaux s’accrochaient aux inégalités du terrain, aux touffes d’herbes.

— Moi, j’ai un mauvais caractère, je suis furieux, emporté, colère ; je veux me corriger… Sautons ces fossés, voulez-vous ?

— Non.

Et j’ai passé par un petit pont pendant qu’il sautait le fossé.