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JOURNAL

Lucien Walitsky. Il était Polonais, sans patriotisme exagéré, une bonne nature, très câlin, qui se dépensait en charges d’atelier. À Achtirka il était médecin du district. Il était à l’Université avec le frère de maman et fut de tout temps de la maison. Au moment du départ pour l’étranger, il fallait un médecin pour grand-papa et on emmena Walitsky. C’est à Bade que j’ai compris le monde et l’élégance et que je fus torturée de vanité…

Mais je n’ai pas assez parlé de la Russie et de moi, c’est le principal. Selon l’usage des familles nobles habitant la campagne, j’eus deux institutrices, une russe et l’autre française. La première (russe), dont j’ai gardé la mémoire, était une Mme Melnikoff, une femme du monde, instruite, romanesque et séparée de son mari, se faisant institutrice par coup de tête après la lecture de nombreux romans. Ce fut une amie pour la maison. On la traita en égale. Tous les hommes lui faisaient la cour, et elle s’enfuit un beau matin, après je ne sais quelle histoire romanesque. — On est très romanesque en Russie. — Elle aurait pu dire adieu et partir tout naturellement, mais le caractère slave, greffé de civilisation française et de lectures romanesques, est une drôle de machine. En femme malheureuse, cette dame a tout de suite adoré la petite fille qui lui était confiée. Moi, je lui ai rendu son adoration par esprit de pose, déjà. Et ma famille gobeuse et po-