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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Le comte B… (c’est le nom du bel inconnu) ne m’attristait pas, lorsque ayant abaissé les yeux jusqu’à la vile multitude d’en bas, je vis A… qui me saluait. Dina lui lança un bouquet et dix bras de vilains s’étendirent pour le saisir au vol. Un homme y parvint ; mais A… avec le plus grand sang-froid, le prit à la gorge et le tint dans ses mains nerveuses, tant que le misérable ne lâcha sa prise. C’était si beau que A… avait l’air presque sublime. J’en fus enthousiasmée et, oubliant ma rougeur, rougissant de nouveau, je lui donnai un camellia et la ficelle tomba avec. Il la prit, la mit dans sa poche et disparut. Alors, tout émue encore, je me retournai vers B…, qui saisit l’occasion de m’adresser des compliments sur la manière dont je parle l’italien et sur n’importe quoi.

Les barberi passent comme le vent au milieu des huées et des sifflets de la populace, et sur notre balcon on ne parle que de la manière adorable dont A… reprit le bouquet. En effet, il avait l’air d’un lion, d’un tigre ; je ne m’attendais pas à une telle chose de la part de ce jeune homme délicat.

C’est, comme j’avais dit au commencement, un mélange bizarre de langueur et de force.

Je vois encore ses mains crispées qui serrent la gorge du faquin.

Vous rirez peut-être de ce que je vais vous dire, mais je vous le dirai tout de même.

Eh bien, par une action pareille, un homme peut se faire aimer tout de suite. Il avait l’air si calme en étouffant ce vilain que j’en perdis la respiration.

À la maison, chaque fois qu’on se raconte cela, je rougis comme une rose de Nice.

Trois quarts d’heure après, au plus fort de ma flirtation avec le voisin, je vis, au bout d’un long bâton,