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JOURNAL

Nous avons laissé Fortuné pour détourner les soupçons ; il retourna tout seul.


Lundi 21 février. — J’ai l’honneur de vous présenter une folle. Jugez seulement. Je cherche, je trouve, j’invente un homme, je vis, je ne jure que par lui, je le mêle à toutes choses et puis, quand il sera bien entré dans ma tête qui est ouverte à tous les vents, j’aurai des ennuis et peut-être des chagrins et des larmes. Je suis loin de désirer que cela arrive, mais je le dis par prévoyance.

Quand donc viendra le véritable carnaval de Rome ? Jusqu’à présent, je n’ai vu que des balcons garnis d’étoffe blanche, rouge, bleue, jaune, rose, et peu de masques.


Mercredi 23 février. — Nos voisins sont là, la dame est aimable, il y a des chars ravissants. Troïly et Giorgio sont dans une belle voiture à grands chevaux et les domestiques sont en culottes blanches. C’était la plus jolie voiture. Ils nous inondent de fleurs. Dina est rouge et sa mère est rayonnante.

Enfin, le coup de canon a retenti, les chevaux vont courir et A… n’est pas venu ; mais le jeune homme d’hier vient, et comme nos balcons se touchent, nous nous mettons à parler. Il me donne un bouquet, je lui donne un camellia, et il me dit tout ce qu’un jeune homme comme il faut peut dire de tendre et d’amoureux à une demoiselle à qui il n’a pas eu l’honneur d’être présenté. Il me jure de garder cette fleur toujours, de la sécher dans sa montre. Et il me promet de venir à Nice pour me montrer les pétales de la fleur qui restera toujours fraîche dans son cœur. C’était très amusant.