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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

disant qu’ils étaient bêtes et que j’étais une Italienne.

Arrive le duc Cesaro.

— Qui cherches-tu ?

— A… Va-t-il venir ?

— Oui ; en attendant, reste avec moi…la plus élégante femme de toute la terre !

— Oh ! le voilà… Mon cher, je te cherchais.

— Bah !

— Seulement, comme c’est pour la première fois que je vais t’entendre, soigne ta prononciation, tu perds beaucoup vu de près. Soigne ta conversation !

Il paraît que c’était spirituel, car Cesaro et deux autres se sont mis à rire comme des gens enchantés. Je sentais bien qu’ils me reconnaissaient tous.

— On reconnaît bien ta taille, me disait-on de tous côtés. Pourquoi n’es-tu pas en blanc ?

— Je crois, ma parole d’honneur, que je joue un rôle de chandelier, dit Cesaro, voyant que nous ne cessions de parler avec A…

— Je le crois aussi, dis-je, va-t’en.

Et prenant le bras du jeune fat, je m’en allai par tous les salons sans m’occuper du reste du monde, comme d’autant de chiens.

A… a la figure parfaitement jolie, un teint mat, des yeux noirs, un nez long et régulier, de jolies oreilles, une petite bouche, des dents très passables et une moustache de vingt-trois ans. Je l’ai traité de petit faux, de jeune fat, de malheureux, de dévergondé, et il me raconta le plus sérieusement du monde comment, à dix-neuf ans, il s’est échappé de la maison paternelle ; comment il s’est jeté jusqu’au cou dans la vie ; combien il est blasé… qu’il n’a jamais aimé, etc.

— Combien de fois as-tu aimé ? demanda-t-il.