La pièce qu’on va lire est l’œuvre de Loéiz Kam, ce paysan poëte dont nous avons parlé dans l’introduction de notre recueil. Selon la coutume des chanteurs populaires, il a décrit l’événement qu’il chante avec la plus rigoureuse exactitude. Nous avons précédemment tiré de la méthode qu’il suit ici un argument par induction sur celle des auteurs en général populaires : nous n’y reviendrons pas ; mais, avant d’entrer en matière, nous croyons devoir demander grâce pour certains traits un peu primitifs de sa ballade, qui ne manqueront pas de blesser le sens délicat des personnes inaccoutumées à ce genre de poésie. Le poëte, s’il en était besoin, trouverait une excuse dans l'intention même de son œuvre. Il avait une haute leçon de morale à donner ; il l’a fait de la manière la plus propre à frapper son rustique auditoire ; il attire d’abord la foule, il la captive par des plaisanteries grossières ; puis, lorsqu’il la tient en son pouvoir, il prend par degrés un ton sérieux, et finit par l’écraser sous le poids d’une religieuse terreur. S’il y a de l’art en cela, le barde en sabots ne s’en est pas douté. Voici le fait qui a donné lieu à la pièce.
Un paysan nommé Iann Marek, très-enclin à l’ivrognerie, après avoir passé la nuit a boire, vint le matin travailler au champ. Plaisanté par ses camarades dont son état d’ivresse excitait les lazzi, et d’ailleurs incapable de prendre part à leurs travaux, il quitta bientôt son ouvrage. Mais en revenant chez lui, s’étant, à ce qu’il paraît, arrêté pour se reposer, en traversant un bois, il fut frappé d’apoplexie. Sa femme et ses enfants, ne le voyant pas reparaître, crurent qu’il était allé chercher de l’ouvrage hors de la paroisse, et ne s’inquiétaient pas de ce qu’il était devenu, quand deux jeunes gens d’un village voisin, qui passaient par le bois, un mois après l’événement, trouvèrent le corps du malheureux paysan à demi dévoré des loups. Sa mort fut regardée par le peuple comme une punition du ciel ; le clergé lui refusa la sépulture ecclésiastique, et le chanteur Loéiz Kam, écho de l’opinion, composa la ballade suivante :