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de prendre pour héros de ses poëmes des personnages avec lesquels le public ne serait pas déjà familiarisé, que la génération nouvelle, ou du moins la génération qui s’en va, ne connaîtrait pas ; s’il lui prenait envie de rimer des aventures qui n’offriraient point à la foule un intérêt récent, son œuvre n’aurait aucun succès, et, quelque belle qu’elle fût d’ailleurs, ne se graverait point dans les esprits, en un mot, ne deviendrait point populaire et traditionnelle.

Du reste, il n’est très-souvent que le guide d’une réunion en verve. Quelqu’un arrive à la veillée et raconte un fait qui vient de se passer : on en cause ; un second visiteur se présente avec de nouveaux détails, les esprits s’échauffent ; survient un troisième qui porte l’émotion à son comble, et tout le monde de s’écrier : « Faisons une chanson ! » Le poëte en renom est naturellement engagé à donner le ton et à commencer ; il se fait d’abord prier (c’est l’usage), puis il entonne : tous répètent après lui la strophe improvisée ; son voisin continue la chanson : on répète encore ; un troisième poursuit, avec répétition nouvelle de la part des auditeurs ; un quatrième se pique d’honneur ; chacun des veilleurs, à tour de rôle, fait sa strophe ; et la pièce, œuvre de tous, répétée par tous, et aussitôt retenue que composée, vole, dès le lendemain de paroisse en paroisse, sur l’aile du refrain, de veillée en veillée. La plupart des ballades se composent ainsi en collaboration. Cette improvisation a un nom dans la langue bretonne, on l’appelle diskan (répétition), et les chanteurs diskanerien ; souvent elle est excitée par la danse ; jamais il ne viendrait à l’esprit de personne de proposer de mettre en chanson le récit d’un événement qui ne serait pas nouveau. Ainsi, la popularité d’un chant dépend des racines plus ou moins profondes que l’événement, le sentiment