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C’est le séjour des héros ; Arthur, blessé mortellement a la bataille de Camlann, y est conduit par les bardes Merlin et Taliesin, guidés par Barinte, le nautonier des âmes[1]. L’auteur français du roman de Guillaume au court nez y fait transporter par les fées son héros Renoard, avec les héros bretons.

Un des lais armoricains de Marie de France y conduit de même le damoiseau Lanval. C’est aussi là, on n’en peut douter, qu’abordent le frère de lait et sa fiancée. Mais nulle âme, dit-on, n’y était admise qu’elle n’eût reçu les honneurs funèbres ; elle restait errante sur le rivage opposé jusqu’à l’heure où le prêtre recueillait ses os et chantait son hymne de mort. Cette opinion est aussi vivace aujourd’hui en Bretagne qu’au moyen âge et qu’aux anciens temps ; et nous y avons vu pratiquer les cérémonies funèbres qui s’y pratiquaient alors.

Dès qu’un chef de famille a cessé de vivre, on allume un grand feu dans l'âtre, on brûle sa paillasse, on vide les cruches d’eau et de lait de sa demeure (de peur, dit-on, que l’âme du défunt ne s’y noie). Il est enveloppé de la tête aux pieds d’un grand drap blanc : on le couche sous une tente funèbre, les mains jointes sur la poitrine, le front tourné vers l’orient ; on place à ses pieds un petit bénitier, on allume deux cierges jaunes à ses côtés, et on donne ordre au bedeau, au fossoyeur, ou quelquefois à un pauvre, d’aller porter « la nouvelle de mort. » Cet homme va de village en village vêtu, en Tréguier, d’une dalmatique noire semée de larmes, agitant une clochette et disant à haute voix : « Priez pour l’âme qui a été un tel ; la veillée aura lieu tel jour, à telle heure ; l’enterrement le lendemain. »

De tous côtés, vers le coucher du soleil, on arrive au lieu indiqué. En entrant, chacun vient tremper dans le bénitier un rameau qu’il secoue sur les pieds du défunt. Lorsque la demeure est pleine, la cérémonie commence : on récite d’abord en commun les prières du soir et l’office des trépassés ; puis les femmes chantent des cantiques. Le défunt reste toujours enveloppé. La veuve seule et ses enfants viennent soulever de temps à autre un coin du drap et le baiser au front. A minuit, on passe


raine de l’église de l’abbaye, on trouve une fontaine appelée la Fontaine Sainte (holy well), et dédiée à saint Joseph d’Arimathie, premier apôtre des Bretons, si l’on en croit la tradition.

  1. Vita Merlini Caledoniensis, p. 37.