La conquête de l’Angleterre remontant au onzième siècle (1066),
il y a tout lieu de croire que cette ballade a été composée à la
même époque. C’est l’opinion de M. Augustin Thierry, qui l’a jugée
digne d’être insérée dans son histoire.
Plusieurs des chefs bretons, auxiliaires des Normands, se fixèrent dans les domaines qu’ils devaient à la victoire ; d’autres ne revinrent en Bretagne que longtemps après l’expédition. On comprend ainsi l’histoire de Silvestik. Mais qui était-il ? était-il fils d’un noble ou d’un paysan ? prenait-il part à la guerre comme sergent d’armes ou comme chevalier ? Nous adopterions plutôt ce dernier sentiment. Mais l’histoire n’en dit rien, non plus que la tradition. En revanche, celle-ci nous a conservé de précieux renseignements relatifs à un usage auquel le poëte fait allusion : nous voulons parler du ruban des noces.
Anciennement, disent les vieillards, le jour des noces, chez les riches, avant que l’on se rendît à l’église et que le fiancé fût arrivé, la nouvelle mariée descendait dans la salle du manoir, où les parents et les amis se trouvaient déjà réunis; elle allait s’asseoir sur un lit d’honneur, et le Diskared (on nommait ainsi le plus notable des amants supplantés) s’approchait pour lui ceindre le ruban des noces. Ce ruban devait être blanc comme l’innocence de la jeune fille, rose comme sa beauté, noir comme le deuil qu’allait prendre le diskared. Un baiser était le prix de la tâche étrange que lui imposait la coutume.
On conservait précieusement le ruban des noces dans la cassette des joyaux de la famille, d’où il ne sortait qu’aux jours de fête. Les années venaient : le rose, le blanc et le noir du ruban passaient avec les fraîches couleurs de l’épouse, ses rêves naïfs de jeune fille, et le chagrin de l’amant supplanté ; mais l’amour qu’elle avait juré à son mari, dont le rival avait, pour ainsi dire, noué de sa main les nœuds, ne passait pas : elle en gardait toujours le gage, qui la suivait jusque dans la tombe, comme un emblème d’éternelle foi.
La mère de Silvestik avait aussi son nœud de rubans ; mais il ne lui ramena point son fils : la colombe messagère de la colline ne lui rapporta qu’un rameau d’espérance trompeuse, que le vent des tempêtes devait effeuiller et flétrir avec ses derniers beaux jours et ses dernières joies de mère.