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eu occasion de le remarquer ailleurs[1], celle dégradation est moins l’œuvre du temps que du changement de pays, car la tradition est encore vivante et fleurie, au bout de neuf siècles, de ce côté-ci du détroit, où elle a de profondes racines dans les souvenirs nationaux. L’absence de racines semblables a conduit les Gallois à user d’un singulier moyen pour y suppléer : ils l’ont greffée sur une de leurs tiges traditionnelles et populaires, attribuant à un des héros du pays de Galles nommé Pérédur, l’histoire de Lez-Breiz enfant.

« Un jour on aperçut trois chevaliers chevauchant par le chemin charretier, le long de la forêt ..

« — Ma mère, demanda l’enfant, qu’est-ce que ceux-ci ?

« — Ce sont des anges, mon fils, dit-elle.

« — Par ma foi! dit l’enfant, je veux devenir ange comme eux. —

« Et, il se dirigea vers eux, et il les joignit.

« — Dis moi, chère âme, lui demanda un des cavaliers, as-tu vu passer un chevalier, aujourd’hui ou hier ?

« — Je ne sais, répondit-il, ce que c’est qu’un chevalier.

« — Quelqu’un comme moi, dit l’homme de guerre.

« — Si tu veux répondre à la question que je vais te faire, je répondrai à celle que tu m’as faite.

« — Très-volontiers, dit le chevalier. « — Qu’est-ce donc que ceci ? demanda l’enfant, en montrant la selle. « — C’est une selle, — répondit le guerrier.

« Alors l’enfant l’interrogea sur chaque partie de l’armure des chevaliers et des chevaux, et sur l’usage qu’on en faisait, et sur la manière de s’en servir. Et quand l’homme de guerre lui eut tout montré, et qu’il lui eut appris à quoi servait chaque objet :

« — Va toujours, lui dit l’enfant : j’ai vu quelqu’un comme tu en cherches un ; et je veux te suivre. —

« Alors il revint vers fa mère, et lui dit : — Mère, ce n’étaient pas des anges, mais des chevaliers ordonnés. —

« À ces mots, la mère tomba pâmée comme morte. Et son fils se rendit a l’écurie où étaient les chevaux qui charriaient le bois de chauffage et qui portaient les vivres de la ville en ces lieux déserts ; et il y prit un cheval bai décharné, le meilleur qu’il trouva, et d’un sac il se fit une selle, et avec des branches tordues il imita les

  1. Contes populaires des anciens Bretons, t. II, p. 266.