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ils allaient bien vite en informer le district. Le district, qui n’osait pas s’aventurer la nuit dans nos chemins de traverse, envoyait quelqu’un pour écouter ce que nous chantions. Quiconque alors eût été dehors aux aguets, aurait vu l’espion entrer dans la cour à pas de loup, et venir coller son oreille au trou de la porte, ou aux fentes de la fenêtre. Le lendemain, dès le point du jour, la maison était cernée par les soldats, et tous les habitants, hommes, femmes, enfants et vieillards, emmenés en ville pour être guillotinés. »

Je compris, et ne m’étonnai plus de la discrétion des montagnards ; je compris mieux encore, lorsqu’ils me mirent à même de juger de ces ballades qui donnaient la mort et à ceux contre qui elles étaient chantées et à ceux mêmes qui les chantaient : elles réveillent tous les souvenirs patriotiques des Bretons, depuis douze siècles ; souvenirs héroïques, souvenirs chevaleresques, souvenirs modernes, longue chaîne traditionnelle, à laquelle chaque événement militaire ajouta son anneau poétique, et qui, depuis Arthur, vient de gloire en gloire jusqu’à Georges Cadoudal. Les termes de guerre tombés en désuétude qu’offrent les plus anciennes, voilà les mots magiques dont les paysans redoutent la puissance, parce qu’ils en ont perdu la clef ; les noms désormais sans valeur pour eux des vieux héros bretons, voilà ceux qu’ils croient doués de vertus étranges ; le fer de la guillotine en coupant la gorge des chanteurs pour étouffer la voix qui célébrait la résistance perpétuelle de la Bretagne à l’oppression, achevait de rendre leurs chants sacrés pour leurs compatriotes. Ceux-ci ne me les auraient jamais révélés sans l’intervention des habitants du manoir ou du presbytère ; j’ai besoin de le répéter, j’ai besoin de dire hautement que c’est aux prêtres et aux grands propriétaires de Bretagne que je dois