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capitale envahie par les flots qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de son cheval, il emportait sa fille en croupe, lorsqu’une voix terrible lui cria par trois fois : «Repousse le démon assis derrière toi ! » Le malheureux père obéit, et soudain les flots s’arrêtèrent.

Avant la révolution, on voyait à Quimper, entre les deux tours de la cathédrale, le roi Gradlon monté sur son fidèle coursier ; mais, en 93, son titre de roi lui porta malheur. Des vieillards se souviennent d’avoir assisté à une cérémonie populaire qui avait lieu autrefois, chaque année, autour de sa statue équestre, et qui fut probablement fondée pour perpétuer le souvenir de l’introduction de la vigne en Cornouaille.

Le jour de la Sainte-Cécile, un ménétrier, muni d’une serviette blanche, d’un broc de vin et d’un hanap d’or, offert par le chapitre de la cathédrale, montait en croupe derrière le roi. Il lui passait la serviette autour du cou, versait du vin dans la coupe, la présentait au prince, comme eût fait l’échanson royal, et, la vidant lui-même ensuite, jetait le hanap à la foule, qui s’élançait pour le saisir. Mais quand l’usage cessa, dit-on, la coupe d’or n’était plus qu’un verre.

Une dernière particularité de l’histoire poétique de Gradlon à ne point passer sous silence, et qui peut avoir un fondement historique, c’est la mention de cette clef d’or qu’il portait en sautoir. Le chef des Franks Childebert, selon Grégoire de Tours, en portait une semblable au cou, à peu près à la même époque.

Le poëme de la Submersion d’Is offre donc, par le fond, plusieurs preuves incontestables d’une antiquité reculée. Il en est de même de la forme et du style. Le rhythme ternaire et allitéré est celui qu’a employé, au cinquième siècle, le barde gallois Gwezno, en traitant le même sujet, et la langue, comme on en peut juger par la strophe correspondante des deux ouvrages que nous avons citée, ne diffère de la sienne que par des nuances de dialecte. Elle présente d’ailleurs d’assez grandes difficultés ; plusieurs tournures grammaticales et plusieurs expressions du poëme n’étant plus en usage (*).


(*) Parmi ces expressions j’indique les mots : arabadiat, se livrer à des joies folles (arabadiez n’est plus usité que dans le sens de badinage, de niaiserie, de puérilité) ; menna, parler en roi, ordonner (aujourd’hui : penser, vouloir ; ; manout, demeurer.