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étrange du chant armoricain cache la même réalité humaine que celui des poèmes gallois, qu’il désigne les disciples des Druides.

(X-XI.) Avec les dix vaisseaux ennemis arrivant de Nantes à la capitale des Vénètes pour le malheur des habitants, avec les onze bélek, débris de trois cents, qui reviennent de Vannes où ils ont été vaincus, comme l’atteste leur bâton de coudrier ; symbole celtique de la défaite[1], nous quittons le domaine de la mythologie pour entrer dans celui de l’histoire. Mais d’abord, quelle est la signification du mot bélek ? S’il veut dire prêtre en général aujourd’hui, il avait au quatrième siècle une signification plus précise, celle de ministre du dieu Bel, adoré des Druides. C’est Ausone qui nous l’apprend. Il croit faire honneur à un professeur de rhétorique de Marseille en lui parlant ainsi : « O toi, qui, né à Bayeux, descends de la famille des Druides ; tu tires ton origine sacrée du temple de Belen; à ce dieu devaient leur nom ceux qui étaient ses ministres, comme tes ancêtres[2]. » Ce fait admis, me serait-il permis de hasarder une hypothèse ? On sait que la flotte de César partit de la Loire[3] et peut-être de Nantes même, pour venir attaquer la capitale des Vénètes ; on sait qu’il anéantit leur puissance maritime, qu’il vendit à l’encan tous ceux dont il put se rendre maître, et qu’il fit égorger leur sénat et leurs prêtres ; les dix vaisseaux ennemis mentionnés par le poète armoricain ne représenteraient-ils pas la flotte romaine tout entière, et les onze bélek vaincus et fugitifs, les débris dispersés du collège druidique ? César dit, à la vérité, que les Druides étaient étrangers à la guerre, et ceux-ci sont armés ; mais il dit aussi qu’à la mort de l’archidruide, ils mettaient souvent l’épée à la main pour disputer l’autorité suprême[4] ; à plus forte raison durent-ils prendre les armes pour défendre leur patrie en danger.

XII. Quoi qu’il en soit, il est curieux de voir le poète armoricain


  1. Reddidit Alfred Machtiern filius Gestin monachiam sancti Salvatoris (quam injuste per vini tenebat), in manu abbatis cum virga corilina ante Salomonem regem totius Britanniae magnaeque partis Gallarum. (Cartularium Rotonense ; ad ann. 867 ; D. Morice, Preuves, t. I. p. 308. V. aussi sur le meme symbole, Owen, Dictionn., t. I, p. 254.)
  2. (Auson., Profess., 4.)
  3. Naves aedificari in flumine Ligeri jubet. (Lib. VI.)
  4. De principatu armis contenduut. (Ibid.)