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INTRODUCTION

l’exécration de la postérité, en même temps qu’elle appelait ses bénédictions sur la mémoire de la mère et de l’aïeul; ainsi, toujours préoccupée du bien ou du mal, toujours pleine de respect pour l’équité, toujours honnête, morale, impartiale et sérieuse, la muse populaire de la Bretagne marche d’un pied libre et léger dans les sentiers qu’elle aime, entraîne tous les cœurs à elle, et conserve sur la multitude un empire absolu.

J’ai connu en Cornouaille un pauvre paysan appelé Loéiz Gwivar, qu’une infirmité avait fait surnommer Loéiz-Kam ou Louis le Boiteux; il représentait physiquement trait pour trait, mais au sérieux, le nain fameux du roi François Ier : il était doué d’une intelligence remarquable; son humeur était douce, calme et parfaitement égale; il était poète; il savait en outre par cœur un très-grand nombre de chansons dont j’ai retenu plusieurs, et bien qu’il passât pour un peu sorcier, ses mœurs avaient toujours été d’une sévérité irréprochable. Les anciens bardes, on s’en souvient, se vantaient aussi d’être sorciers et n’en étaient pas moins de fort honnêtes gens.

Quoi qu’il en soit, les connaissances magiques, vraies ou supposées, de notre poète, vieux secrets traditionnels que lui avait enseignés son aïeul, jointes à sa probité personnelle, lui avaient donné dans sa paroisse une certaine autorité morale ; on venait le consulter ; ses avis avaient du poids, ses jugements étaient en général sanctionnés par l’opinion publique, et ses chants contenaient des enseignements utiles qui se gravaient dans les esprits.

Or il est un vice auquel le paysan breton, habituellement sobre, se livre trop volontiers aux jours de fête. La destruction de ce vice commun à tous les peuples de race celtique, et qui paraît avoir été jadis autorisé par leurs lois religieuses, est devenue, depuis l’établissement du christianisme, l’objet des efforts persévérants non-seulement du clergé, mais des bardes