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INTRODUCTION

qu’il tâche d’exprimer ; il pense, réfléchit et conclut tout haut.

Le cantique emprunte son allure, sa forme et son tour, partie aux chansons d’amour, partie aux hymnes d’église ; la légende populaire, partie à la ballade et partie à la prose latine. La légende ne perd point complètement pour cela l’allure dramatique de la ballade ; mais cette allure est moins brusque, plus réglée, plus grave, plus cléricale ; elle ne va plus le galop, si j’ose le dire, elle va l’amble. L’auteur s’efface moins, il parle plus longtemps, il raisonne ; parfois il moralise ; le récit tend à dominer l’action, comme dans les œuvres artificielles du même genre, qu’on ne chante point, mais qu’on lit, et qui par cela même ne sont pas populaires.

Le chant marié à la parole est en effet l’expression de la seule poésie vraiment populaire. Son union avec la musique est si intime que si l’air d’une chanson vient à se perdre, les paroles se perdent également. Nous en avons fait mille fois l’expérience, mille fois nous avons vu le chanteur s’efforcer vainement de rappeler dans sa mémoire les mots du chant qu’il voulait nous faire connaître, et ne parvenir à les retrouver qu’en retrouvant la mélodie. Avec le berger de Virgile, il aurait pu dire, en renversant le vers du poète : Numeros memini,’si verba tenerem ?

Quelquefois l’air et les paroles naissent simultanément ; l’inventeur de la poésie, dans les traditions cambriennes, est aussi l’inventeur de la musique. D’ordinaire l’air est ancien. Le rhythme est comme l’aile du poëte populaire ; le rhythme l’enlève et le soutient dans son essor. Il ne pourrait composer sans fredonner un air qui lui donne la mesure ; tous, excepté peut-être les kloer et les prêtres, qui suivent pourtant une méthode semblable à celle des autres poètes populaires, ignorent les règles de la versification : plusieurs me l’ont souvent avoué. Ils sentent instinctivement, disent-ils, qu’ils doivent se conformer au ton, sous peine de blesser l’oreille