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ÉPILOGUE. 523

haine aveugle que la raison ne peut ni blâmer ni absoudre. Ses vices ont le même caractère d’énergie sauvage que ses vertus. Chose étrange 1 ils ont un mobile semblable, ils sont sacrés comme elles. Les sens grossiers qu’il a reçus de la nature, le ciel froid et pluvieux ôous lequel il couche, la vie guerrière et rude qu’il mène, le dé- nùment presque complet où il se trouve des choses les plus né- cessaires au bien-être, la rareté des occasions qu’il a de se distraire des soucis de sa miséiable existence, tout le pousse à chercht^r les ’moyens les plus violents pour assouvir ses penchants brutaux : le pillage, l’ivresse et la danse les lui fournissent. Il pille donc, il danse et il boit*; et, en satisfaisant ainsi d’un même coup ses trois vices, l’amour du gain, l’amour des liqueurs fermentées et iamour de la danse, il croit sérieusement s’acquitter d’un double devoir envers ses dieux et son pays; car, d’une part, c’est le terri- toire ennemi qu’il ravage ; c’est le vin de l’étranger qu’il boit, et il le boit ^chose horrible à dire!) mêlé au sang de l’étranger lui-même; d’autre part, les rondes auxquelles il se livre sont saintes ; et ces rondes, ce vin, ce sang, il les offre en liolocauste au Dieu-soleil qui le bénit et lui sourit.

Pour qu’il puisse distinguer un jour le bien du mal, il faudra qu’un autre soleil l’éclairé, qu’un enseignement nouveau modifie celui qu’il a reçu, qu’une nouvelle loi vienne régler ses nobles instincts et met- Ire un frein à ses passions mauvaises.

Cette loi, il la subit, et le premier cri qui s’échappe au jour de la bataille, de son cœur où la foi du Christ commence de germer, est un défi jeté à la mort, du milieu des eaux sanglantes du baptême, une hymne où la résignation chrétienne triomphe déjà du fatalisme païen’-*. Le même sentiment éclate en ses paroles, quand la peste désole sa patrie : « La peste est au bout de ma maison, lorsque Dieu voudra, elle entrera, dit-il ; lorsqu’elle entrera, je sortirai ^. » Toute- fois, le christianisme pratique n’a pas encore pénétré dans ses mœurs ; les Hébreux étaient moins éloignés de la doctrine évangé- lique; ils disaient : « œil pour œil, et dent pour dent ; » lui, le dis- ciple des druides, il s’écrie, tout chrétien qu’il semble : « Cœur pour œil, et tète pour bras4. »

Ce langage atroce, justifié à ses yeux par l’amour du pays, il le tient et le traduit en actions pendant toute son enfance et pendant toute sa jeunesse. « Il voudrait, dit-il, écraser le cœur du roi en- nemi entre la terre et son talon )’ ; et, bravant une mort certaine, il marche seul contre mille; il suspend en trophée, au pommeau de la

1 Le vin des Gaulois et la danse du glaive, page 4S

2 La marche d’Arlhur, page 51.

3 La peste d’Elliant, page 53.

4 Page 30.